Et si la sieste était le vrai déclic du langage ?

Sommeil et développement du langage : pourquoi bien parler commence par bien dormir

En tant qu’orthophoniste spécialisée en rééducation oro-myofonctionnelle (OMF), j’accompagne chaque semaine des enfants qui présentent des retards ou troubles du langage. Parfois, on cherche des causes linguistiques, cognitives ou environnementales... alors que la réponse se trouve dans un besoin aussi fondamental que négligé : le sommeil.

Je le dis souvent aux familles : avant d’apprendre à parler, il faut récupérer. Le lien entre sommeil et acquisition du langage est non seulement logique sur le plan neurodéveloppemental, mais aujourd’hui largement étayé par les recherches. Pourtant, il reste sous-estimé — y compris dans les parcours de soin et les recommandations éducatives.

Le sommeil, un pilier du développement bucco-facial

Dans la perspective OMF, le sommeil est un indicateur de première importance. Un enfant qui dort la bouche ouverte, qui ronfle ou qui a un sommeil agité, présente très souvent des troubles oro-myofonctionnels : respiration buccale, posture linguale basse, tonicité oro-faciale altérée… autant de facteurs qui freinent la mise en place d’un langage clair et fluide.

Ces troubles sont parfois invisibles aux yeux des familles. Mais leurs conséquences s’observent dans le quotidien de l’enfant : fatigue chronique, hypotonie, manque d’attention, troubles articulatoires, voire troubles de l’alimentation ou du sommeil paradoxal.

Fatigue et langage : un lien bien réel

De nombreux professionnels de santé ont remarqué que les enfants les plus fatigués sont aussi ceux qui parlent le moins, ou le moins précisément. Pourquoi ? Parce que la mémoire phonologique, la structuration syntaxique et la capacité à s’engager dans une interaction langagière exigent un minimum d’énergie cognitive. Et cette énergie est directement liée à la qualité du sommeil.

Lorsque l’enfant est en dette de sommeil, il se désengage, il compense, ou il s’agite. On croit à tort qu’il “ne tient pas en place” alors qu’il a juste besoin… de dormir. Dans les cas les plus marqués, on retrouve même des profils d’enfants diagnostiqués “TDAH” sans évaluation préalable des troubles du sommeil.

Ce que dit la science

La recherche confirme ce que nous observons en cabinet. Des études récentes ont démontré que :

  • la sieste post-apprentissage améliore significativement la rétention de nouveaux mots (Axelsson et al., 2018) ;
  • un sommeil fragmenté ou trop court altère les performances langagières chez l’enfant d’âge préscolaire (Gruber et al., 2012) ;
  • la privation de sommeil réduit la capacité à encoder et stocker de nouvelles structures syntaxiques (Gómez & Edgin, 2016).

Le cerveau endormi est un cerveau actif. C’est là qu’il trie, classe, consolide l'information. Une bonne nuit ou une sieste bien calée, c’est aussi un pas de plus vers un langage plus fluide.

Conseils concrets pour les professionnels et les familles

  • Maintenir la sieste jusqu’à au moins 4 ou 5 ans, sans culpabiliser si l’enfant en a encore besoin après.
  • Éviter les écrans 1h avant le coucher ou la sieste : ils nuisent à la production de mélatonine.
  • Observer les signes précoces de fatigue : bâillements, frottements d’yeux, irritabilité…
  • Ne pas proposer une activité de langage exigeante juste après une agitation physique ou émotionnelle.
  • Intégrer un mini-exercice de respiration nasale avant une séance pour recentrer l’enfant.

Orthophonie et sommeil : un duo à valoriser

Il est temps que la rééducation oro-myofonctionnelle s’inscrive dans une approche interdisciplinaire, aux côtés des ORL, kinésithérapeutes, psychologues et professionnels de la petite enfance. Nous, orthophonistes, avons un rôle clé pour sensibiliser les familles à l’impact du sommeil sur le langage.

Petit rappel : cet article est informatif et ne remplace pas une consultation individuelle. En cas de doute, rapprochez-vous d’un professionnel de santé.

Conclusion

Parler, ce n’est pas juste une question de mots. C’est une question de rythme biologique, de respiration efficace, de récupération. Si nous voulons vraiment accompagner les enfants à s’épanouir dans leur langage, commençons par respecter leur besoin fondamental : bien dormir.

Et si la prochaine étape thérapeutique, ce n’était pas une nouvelle fiche d’exercices… mais une sieste ?

À propos de l’auteur : Judith Roblin est orthophoniste spécialisée en OMF. Elle exerce en cabinet libéral près de Montpellier et partage des contenus éducatifs sur Instagram (@myodefi.officiel).

Bibliographie – Pour aller plus loin

  • S. Seehagen, Konrad et al. (2015). Sleep facilitates memory consolidation in infants. Sleep, 41(4), zsy013. Lire l’étude
  • Gómez, R. L., & Edgin, J. O. (2016). The extended trajectory of hippocampal development... Lire l’étude
  • Gruber, R., et al. (2012). Sleep efficiency and academic performance in children. Lire l’étude

  • Gozal, D. (2008). Sleep-disordered breathing and school performance in children. Lire l’étude
  • AFPA. Le sommeil de l’enfant : comprendre et accompagner. Accéder au site
  • FNO. Ressources professionnelles sur sommeil et langage. Accéder au site

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